Parfois, par rares fois, en refermant un roman, il vous prend l'irrésistible envie que tout le monde le lise, l'ait lu.
L'on en est ressorti ébloui et l'on aimerait voir de même se plisser les yeux aimés, comme une confirmation, une détromperie, un partage -mais non vieux tu as bien fait c'est le meilleur conseil de lecture qu'on m'ait donné- qui offre ce plaisir indicible d'avoir comblé à peu de frais et sans effort particulier.
Chacun pourrait citer ces titres qu'elle-ou-il a ainsi semés aux quatre vents avec un enthousiasme non feint.
Attention, il y va d'une certaine parcimonie. Si chaque volume achevé devient l'objet de votre prosélitisme, votre crédibilité en souffrira grandement.
Certains m'ont entendu dans le passé vanter entre (rares) autres "Voyage au bout de la nuit", "L'amour au temps du choléra" ou "Belle du Seigneur". Eh bien ces mêmes-là m'entendront dorénavant ajouter à cette liste vivifiante "Ada ou l'Ardeur", de Vladimir Nabokov. Non point pour une ressemblance -quoique- mais pour la similitude d'effet produit. Jubilation d'avoir été emporté à l'intérieur d'une oeuvre dans un tourbillon somnambulique, admiration infinie d'avoir lu ce que l'on aurait rêvé écrire soi-même tout en s'en sachant bien incapable, éveil après cet accès à ce qui nous pré-existait et que nous eussions fort bien pu ignorer par paresse ou inculture, fébrilité dans l'espoir qu'il dorme ailleurs une autre de ces perles de la création littéraire et qui nous sera un jour révélée.
Si Nabokov est marqué du sceau de l'a-moralité pour sa célèbre Dolores Hayes, Lola, Lolita -roman de la pédophilie aux dires des prudes- il ne se prive pas du "a-privatif" dans ce roman de l'inceste joyeux qui voit le narrateur - Van Veen, V.N., Vlad. Nab. ? - lutiner -voire pire- avec ardeur sa soeur Ada au long d'une épopée de quatre-vingt-trois ans.
Pas un mot du style, il vous faudra vous y prêter vous-mêmes. Indescriptible, mêlant jusqu'à cinq langues sans que cela soulève la moindre objection, alternant allitérations forcées, jeux de mots russo-franco-anglais (lire les notes de fin d'ouvrage au fur et à mesure), usage répétitif des parenthèses, soi-disant annotations a posteriori de la main d'Ada, idem soi-disant de l'éditeur, passage subreptice de la troisième à la première personne (puis insensiblement chemin inverse) dudit narrateur, rien n'est épargné au pauvre lecteur qui mettra quand même quelques chapitres à s'accoutumer à une telle liberté.
Je n'en dis pas plus. Ada ou l'Ardeur, Vladimir Nabokov, Ed. Folio, 700 pages et onze euros de pur bonheur.
On en reparle?